Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/300

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Au dedans de la cité, pareille immoralité. Que l’on n’envisage pour l’instant la cité grecque que par son aspect le plus brillant, et comme une collaboration de citoyens libres. Oublions, pour y revenir tout à l’heure, que cette société si sereine est établie sur l’esclavage. Comment oublier qu’entre les hommes libres il y a des différences de classe immenses ? Les aristocrates continuent dans la cité la vie héroïque. Un respect pathétique consacre dans l’opinion la supériorité de quiconque est riche et de bonne race. Quand la multitude médiocre ne serait pas livrée aux caprices de la force, elle serait prosternée par son propre préjugé. Mais, de plus, entre les aristocrates un esprit de féroce jalousie allume des guerres civiles incessantes. Burckhardt n’a eu là encore qu’à utiliser pour sa thèse la marche connue des événements telle que l’avait systématisée Fustel. Que la discorde des grands vînt à menacer la cité dans son existence, qu’un aristocrate se crût méconnu ou lésé, il se soulevait, imposait la paix, et assouvissait en même temps son appétit de régner en promettant son appui au peuple. Un coup de force soutenu par la multitude des pauvres le portait à la tyrannie.

La première forme de la démocratie, dans un peuple politiquement inculte et dénué d’organisation, était cette tyrannie d’un seul. Elle durait tant que durait sa force, et jusqu’à ce que le tyran, usé par une courte vie d’excès et haï pour ses cruautés souvent nécessaires, pérît dans un guet-apens. Il restait alors la masse informe, elle-même remuée par les mêmes passions effrénées. Dans un peuple aussi passionné, et après l’écroulement des régimes d’aristocratie et de tyrannie, sujets aux mêmes excès que la foule, la démocratie est le seul régime durable, parce qu’elle peut renverser instantanément les supériorités qu’elle a dressées sous l’empire d’une néces-