Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/309

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avec la condition divine ; sa faute publique sera l’ὕϐρις toujours. Essayer d’extirper, comme fait l’éducateur moderne, cette racine du vouloir ambitieux, l’éducateur grec n’y songerait pas. Il sait qu’un caractère n’est ni bon ni mauvais. Il est un ressort puissant ou faible. La valeur morale lui vient de la fin qu’il sert ; les Grecs cultivent l’égoïsme, mais ils le font servir à des fins sociales.

On voit donc l’idée de Burckhardt reparaître chez Nietzsche. L’ambition antique n’est pas l’ambition grossière des modernes, car elle veut briller devant la cité, pour la cité. L’homme antique veut le triomphe, mais pour que sa ville natale en ait la gloire. Vainqueur à la course, à la lutte, ou dans les jeux des aèdes, c’est aux dieux de la cité qu’il offre ses couronnes. L’art lui-même est un dernier combat de cette sorte, et comme une imitation lointaine de la guerre pour le salut de la Patrie. En ce sens, les cités rivales guerroient encore quand elles mettent en présence, dans une lutte légendaire, Homère et Hésiode. Il est certain que ni Homère ni Hésiode n’ont existé ; leurs noms mêmes, dit Nietzsche, ne sont encore que des prix donnés et comme des couronnes. Chacun de ces noms consacre la découverte d’une forme d’art, mais le nom des inventeurs a disparu sous la couronne que leur a décernée l’opinion hellénique : ce sont des genres poétiques qui sont entrés en lutte, et non des hommes.

IV. La cité hellénique. — Ainsi quand on recherche les conditions où a pu éclore la fleur intellectuelle de l’hellénisme, toujours on trouve cet humble berceau, la cité grecque. Si petite qu’elle fût, il faut se garder pourtant de l’idéaliser. Il ne faut pas croire que la cité ait été la fondation librement concertée d’hommes qui sentaient le besoin de se protéger. La plupart préféraient la vie