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Gœthe est du nombre des poètes qu’il relit comme un bréviaire de sagesse. Il le consulte pour se redire à lui-même les douleurs de sa solitude morale et les douceurs de l’amitié.[1] Dans cet apostolat où se joignent, vers 1869, les jeunes amis de Nietzsche à Leipzig, les noms divins qu’ils invoqueront pour donner le baptême aux initiés seront Schopenhauer et Byron, sans doute, mais Gœthe avant les autres.[2] Les lettres de Nietzsche sont farcies de citations gœthéennes. Un petit nombre d’œuvres, sans doute, tenaient lieu de tout le reste. Le livre que ces jeunes intellectuels ambitieux, Gersdorff, Rohde, Nietzsche emportaient dans leurs promenades et oubliaient sur le gazon était le Faust.[3] Combien de fois, dans les vers de Nietzsche, les allusions à Faust ne se retrouvent-elles pas? Et, dans le Zarathustra encore, elles seront présentes. La négation de la réalité métaphysique se formulera souvent plus d’une fois chez Nietzsche en vers qui parodient l’hymne des anges emportant l’âme immortelle de Faust aux régions où les choses périssables ne « sont plus que symbole ». Mais pour Nietzsche, c’est l’impérissable qui sera fiction de poète et symbole verbal. « Alles Unvergängliche, das ist nur ein Gleichniss! Und die Dichter lügen zuviel. »[4] Quand il s’agira de décrire le sens caché d’une tragédie d’Eschyle, ce sont les vers du Prométhée de Gœthe qu’il choisira comme les plus expressifs.

Sans doute les œuvres de la vieillesse gœthéenne ont

  1. Briefwechsel mit Erwin Rohde, 17 août 1869. (Corr., t. II, p. 159.)
  2. Rohde à Nietzsche, 15 février 1869. (Corr., t. II, p. 133.)
  3. Nietzsche à Gersdorff, 20 octobre 1871 (Corr., 2e éd., I, p. 192); à Rohde, 26 octobre 1871. (Corr., t. II, p. 267.)
  4. Zarathustra (W., t. VI, p. 125) et encore : « Alle Götter sind Dichter-Gleichniss, Dichter-Erschleichniss » (ibid., p. 188). Voir encore : Lieder des Prinzen Vogelfrei. An Gœthe : « Das Unvergängliche ist nur dein Gleichniss! » (W., t. V, p. 349.)