Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/316

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relèvera pas. La préparation militaire permanente de Sparte oblige les Athéniens à rester pour toujours sous l’armure. La lutte intérieure contre l’aristocratie, qui « lacédémonise », devient plus sanglante, depuis que menace le danger extérieur[1].

Thucydide sert de guide à Burckhardt et à Nietzsche, quand il s’agit de décrire l’immoralité des partis qui se déchaîne alors : la mauvaise foi préméditée dans les contrats privés, le besoin de s’assurer l’avantage et le renom de l’astuce par l’abus de confiance constant, par la violence ou le vol ouvertement pratiqués dans la gestion des affaires publiques ; l’avènement d’une démocratie qu’Aristophane a pu appeler une populace de malandrins et d’aigrefins, soucieuse uniquement de se soustraire au devoir civique. Et malgré cela, la cité grecque dure. Elle est un organisme d’une vigueur effroyable qui se défend à outrance contre une effroyable maladie. Les Grecs prétendent maintenir jusque dans l’extrême misère l’autonomie de cette cité[2]. L’autonomie est la chose sacrée pour laquelle une population décimée par les massacres, par la colonisation, renouvelée par les mélanges, se bat et se sacrifie. Car l’autonomie assure l’égalité des citoyens et l’esprit d’égalité est la dernière vertu sociale des Grecs, celle qui survit par la haine elle-même de tous contre tous, et qui aurait disparu si les cités avaient été fondues dans un grand ensemble panhellénique.

Pour Burckhardt, il y avait dans cette irréductibilité de la cité un danger surtout national, que l’intelligence grecque aurait dû suffire à prévenir. Les invasions perse,

  1. En tout, Nietzsche suit ici son guide habituel : « Wie graesslich war es, dass der Kampf gerade zwischen Sparta und Athen ausbrechen musste, — das kann gar nicht tief genug betrachtet werden. » (W., IX, p. 227.)
  2. Burckhardt, ibid., IV, p. 503.