Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/35

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divinité. La force dionysiaque, par laquelle pullulent les germes, répand la mort aussi à pleines mains. La nature dépose sur toutes les branches un lit nuptial ; mais dans tous les fourrés rôdent des carnassiers qui sont autour de nous des gouffres vivants, toujours ouverts. L’énergie qui engendre la profusion des fleurs, des chenilles et des oiseaux, livre les bourgeons frais éclos au ver vorace, et la larve à l’alouette. C’est pourquoi il convient que dans cette nature abandonnée aux forces d’une aveugle et robuste vitalité, surgisse le satyre, la brute engagée encore dans l’instinct naturel, le génie avec tout ce qu’il sent en lui de brutalité dangereuse, destructrice de toute loi. Satyros est cette force contagieuse qui nous enfièvre le sang :


Und mein Gesang, der dringt ins Blut
Wie Weines Geist und Sonnenglut.[1]


N’y a-t-il pas un évident rapport entre ce satyre auquel les vierges confient leur émoi le plus secret et le dieu tentateur de Nietzsche, Dionysos, « génie du cœur », habile à scruter le tréfonds des âmes ?[2] C’est qu’on sent dans le satyre de Gœthe l’initiation à la vie éparse dans la nature, divine encore dans sa cruauté, et l’extase contagieuse de cette vie (sich zu Gœttern entzücken).[3] C’est une révélation que son chant où l’on voit naître des mondes, et où bouillonne le remous des forces primitives :


Wie im Unding das Urding erquoll,
Lichtsmacht durch die Nacht scholl,
Durchdrang die Tiefen der Wesen all,
Dass aufkeimte Begehrungsschwall.[4]

  1. Gœthe, Satyros, v. 177.
  2. Jenseits von Gut und Bœse, § 295.
  3. Satyros, v. 256.
  4. Ibid., v. 296.