Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/382

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nelle, de quiconque porte une main indiscrète sur les illusions dont nous avons vécu. Avec cette fragile raison qui est notre unique instrument, il faut pourtant, selon le mot de Montaigne, essayer de « voir les choses comme elles sont ».

Les moralistes français avaient donné des exemples immortels de la méthode qui démasque le mensonge caché jusque dans les idéals que nous suggèrent les poètes et les philosophes. Ils avaient créé toute une psychologie nouvelle des mobiles humains. Ils essayaient de démonter le fonctionnement secret de nos instincts ; les classaient, en traçaient des diagrammes de plus en plus simplifiés où leur structure se révélait identique. Que le fond en fût « passion de dominer », comme chez Pascal ; « orgueil », comme chez La Rochefoucauld ; « désir de commandement », comme chez Fontenelle, ils étudiaient les variétés écloses de cette passion-souche à chaque changement du terroir social ; et sous les mutations apparentes, on reconnaissait leurs caractères permanents.

Une telle étude de l’homme ne s’acharnait pas à découvrir dans ses mobiles moraux une part de raison qui en est sans doute absente. Elle reconnaît, comme Fontenelle, que les préjugés et les passions sont plus nécessaires à l’action que la raison. Entre les mobiles vrais, qui sont déraisonnables et qu’elle dénomme sans les idéaliser, elle cherche les relations de fait. Elle observe comme les convenances ou les forces sociales les transforment. On peut ainsi établir une généalogie des instincts et des impératifs moraux, comme Pascal avait retracé les origines de la justice, et comme Montaigne avait montré que toutes les lois morales sont issues d’une utilité sociale. Elle met à nu dans les caractères, comme Stendhal, le tuf réel, l’inclinaison que rien ne change, et que