Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/78

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belle et neuve, née de l’amour, de l’énergie, et de la pensée et pour laquelle serait convié tout le peuple allemand à ces fêtes d’une nouvelle Délos et d’une nouvelle Olympie[1] ? Nietzsche a cru que cette prédiction se réalisait quand s’ouvrirent les Bühnenweihfestspiele de Bayreuth.

À travers les découragements sans nombre, Hœlderlin garde son obstination dans l’espérance. Il les voit, ces hommes d’aujourd’hui, rivés à leur besogne infinie, infertile, dans des ateliers retentissants. Il leur manque le sens du divin, c’est-à-dire des forces éternellement vivantes dans la nature. Ainsi les hommes font défaut aux dieux qui errent parmi nous sans trouver d’accueil ; et les dieux font défaut aux hommes[2]. L’humanité même ainsi se perd, s’il est vrai que le propre à l’homme soit d’être ouverte au divin. Entre les hommes d’à présent et les animaux, Hœlderlin ne distingue pas. Il y a des fauves qui fuient devant la lumière ; et des chiens qui glapissent quand ils entendent de la musique. Pareillement, le vulgaire d’aujourd’hui fuit devant le vrai et glapit devant la beauté. C’est que la raison et le sentiment esthétique réclament déjà le sens de l’humanité intégrale. La doléance de Schiller se prolonge dans les planètes d’Hœlderlin sur l’humanité allemande que sa division intérieure a rendue barbare. Il n’est pas de peuple plus mutilé en chacun de ses exemplaires. On y voit des artisans, et non des hommes ; des penseurs, et non des hommes ; des prêtres, des maîtres, des valets, et non des hommes. Chacun est confiné dans son métier, et a le scrupule anxieux de n’en pas sortir. Chacun se retranche

  1. Gesang des Deutschen (I, 197) : « Wo ist dein Delos, wo dein Olympia, Dass wir uns alle finden am höchsten Fest. »
  2. Der Archipelagus (I, 225).