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sophie sera enveloppée avec elle dans la même condamnation. Aussi bien le châtiment vrai de cette velléité d’orgueil tyrannique, c’est pour la philosophie la solitude de l’âme ; car la cité la rejette, et il est séparé de la nature par le remords de l’avoir reniée. Il connaît l’épouvante d’être seul et sans dieux ; et c’est là la mort véritable[1]. Nietzsche se lamentera, lui aussi, de sa solitude plus profonde que celle du Dante et de Spinoza, qui eux, du moins, vivaient avec la certitude d’un dieu confident de leur pensée.

Mais ce qui nous importe davantage, c’est la psychologie même de la régénération par la mort, et les moyens par où elle se produit sur la scène. En vérité, n’a-t-elle pas une notable ressemblance avec la caverne de Zarathoustra, cette grotte toute proche du cratère empli de souffles, où Empédocle se retire avec un seul disciple fidèle ? Après un dernier regard sur les îles et sur la mer où meurt le soleil, c’est là qu’il prétend se réconcilier avec les dieux. Ce qu’il expie là, c’est son orgueil et davantage le crime d’avoir servi les hommes avec aveuglement. Sa purification commence, quand il se rend compte de sa mission vraie. Empédocle certes ne représente pas le passé respectable, la Patrie, la Religion ; il est l’Avenir et il est l’Héroïsme. Cela suffit pour qu’il vive en communion avec les dieux. Mais n’est-ce pas dire que les hommes choisis pour proférer des paroles d’avenir ont à disparaître du présent ? Consentir le sacrifice de soi, voilà donc le signe de la plus grande intimité avec la vie divine.

Toutes les revanches se préparent pour l’homme brisé, bafoué et solitaire, en qui a pu mûrir une telle résolution. Dans cette fin de drame, ce n’est pourtant pas la péri-

  1. « Allein zu sein, und ohne Gœtter, dies — Dies ist er ! ist der Tod ! Hœlderlin, Empedokles, v. 697, t. II, 256.