Page:Angellier - Dans la lumière antique, Le Livre des dialogues, t2, 1906.djvu/71

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Le Vieillard.

C’est ta colère, ô fils, qui, trop prompte et subite,
Comme une flèche part d’un arc trop tôt tendu,
Se perd, sans but, dans l’air. Tu n’as pas attendu
Jusqu’à voir que mes mots ne voulaient pas t’atteindre.
Je sais que tu ne peux haïr, pas plus que craindre,
Car la haine est souvent la fille de l’effroi,
Et celui-ci s’arrête à distance de toi.


Je dis que l’homme, en proie à l’âpre loi suprême,
Peut du moins regarder plus haut qu’elle, en lui-même.
S’il y trouve l’horreur de ses cruels décrets,
Il peut du moins dresser, dans des bosquets secrets,
Un invisible autel à la Mansuétude,
Et commencer en soi, dans un muet prélude,
L’hymne silencieux qui chante la Bonté,
Loi d’un monde irréel, par lui seul habité.
Il peut maudire aussi le forfait unanime
Dont il est à la fois et complice et victime,
Et détester le mal qu’il ne sait éviter.
Ce rêve peut, un jour, à ses lèvres monter,