Page:Angellier - Dans la lumière antique, Le Livre des dialogues, t2, 1906.djvu/70

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Vu les vieillards, assis sur le bord des chemins,
Pleurer en se tenant la tête dans les mains,
Vu les mourants traîner dans la boue et la neige,
Vu s’éloigner le noir et gémissant cortège
Qui sort d’une cité que va raser le feu,
Vu les femmes jeter leur long baiser d’adieu
Du vaisseau qui s’enfuit loin de la terre aimée,
En gardant mes yeux secs et mon âme fermée ?
Tu ne sauras jamais quelle pitié, vieillard,
Quel solennel respect habite le regard
Du guerrier taciturne, à la fin des batailles.
Il en garde l’émoi sublime en ses entrailles ;
Et c’est pourquoi les yeux vieillissants des soldats,
Sous des fronts obstinés, séchés par les climats,
Conservent, dans le bronze austère et fataliste
Des traits, une lueur de compassion triste
Qui fait aller vers eux le regard des enfants.
Cherche ; et tu trouveras chez nous peu de méchants !
Nous savons ce que vaut l’existence d’un autre,
Pour l’avoir, maintes fois, pesée avec la nôtre,
Sans savoir quel plateau baisserait vers la mort.
Ton jugement se trompe, et tes propos ont tort,
Et sous tes cheveux blancs ton front pense trop vite.