Page:Angellier - Dans la lumière antique, Le Livre des dialogues, t2, 1906.djvu/85

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L’arbre jusqu’à son cœur doit conserver sa force,
Et si le bois est mort au dedans de l’écorce,
Celle-ci pourrira sur le tronc vermoulu.
Nul rempart ne défend un peuple irrésolu !
Autour de corps sans sève et d’âmes déprimées,
S’effrite et se corrompt l’écorce des armées.
Si loin que le regard humain peut nous mene,
Conquérir le Barbare ou bien l’exterminer
N’est qu’un rêve féroce ou qu’un rêve futile.
Il faut, longtemps, former d’une énergique argile
Ton peuple aux longs loisirs, si tu ne veux qu’il soit
Brisé, comme un vaisseau fragile qui reçoit
Le choc d’un vase fait de plus solide glaise,
Et qu’un potier grossier a cuit dans sa fournaise
Pour aller à la source ou recevoir du grain.
Les peuples, ô vieillard, qui quelquefois ont faim,
Préservent plus longtemps leur force et leur audace.
Loin de les subjuguer, il faudra que ta race
Sache garder contre eux ses vignes et ses blés.
Et ces rares trésors des arts qu’ont rassemblés
Ou produits ses aïeux. Le péril, qu’il surgisse
Demain ou dans un siècle, aura pour son complice
Tout propos de rêveur, lâchement rassurant,
Qui, nous rendant moins forts, l’aura rendu plus grand.