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qu'il était capable d'exceller dans toutes les voies d'ambition où il lui aurait plu d'exercer ses capacités.

Panni les sujets sur lesquels il s'arrêtait volontiers, les caractères des individus qu'il lui arrivait de rencontrer étaient évidemment un sujet favori. Les remarques qu'il faisait sur eux étaient toujours sagaces et pénétrantes, quoique souvent elles inclinassent trop au sarcasme. Sa louange de ceux qu'il aimait était parfois sans discrimination et excessive ; mais ceci, je crois, provenait plutôt du caprice et de l'iiumeur du moment que du pouvoir de ses affections à aveugler son jugement. Ses traits d'esprit étaient vifs et portaient toujours la marque d'une vigoureuse intelligence ; mais, à mon goût, ils n'étaient pas souvent agréables ou heureux. Ses tentatives d'épigramnies, dans ses œuvres imprimées, sont les seules productions peut-être indignes de son génie.

Je ne dois pas oublier de mentionner, ce que j'ai toujours considéré comme carac- téristique à un haut degré dun véritable génie, l'extrême facilité et la bienveillance de .son goût à juger les compositions des autres, quand il y avait de réels motifs d'éloge. Je lui répétai de nombreux passage» de poésie anglaise qui lui étaient inconnus, et j'ai plus d'une fois été témoin des larmes d'admiration et d'enthousiasme avec lesquelles il les écoutait. La collection de chansons par le D' Aiken, que je lui mis le premier entre les mains, fut lue par lui avec un plaisir sans mélange, malgré les e.ssais qu'il avait déjà tentés lui-même dans ce genre difficile de production ; je ne doute pas que cette lecture n'ait contribué à polir ses compositions ultérieures.

Pour juger de la prose, je ne pense pas que son goût fût également solide. Je lui lus une fois un passage ou deux des œuvres de Franklin, que je trouvai très heureuse- ment exécutés sur le modèle d'Addison ; il ne sembla pas goûter ou pénétrer la beauté qu'ils devaient à leur exquise simplicité ; et il en parlait avec indifférence par comparaison avec les pointes, les antithèses et la bizarrerie de Junius. L'influence de ce goût est très perceptible dans ses propres compositions en prose, quoique leurs grands et nombreux mérites fassent de quelques-unes d'entre elles des sujets d'étonnement à peine inférieurs à ses compositions poétiques. Feu le D' Robertson avait l'habitude de dire que, si l'on considérait son éducation, les premières lui paraissaient les plus extraordinaires des deux *.

Il est inutile de faire ressortir la bonne grâce et l'aménité de cette longue déposition ; ce sont les qualités du noble honnête homme que fut Dugald Stewart. Il est moins étranger à notre préoccupation d'en faire remarquer la minutie, la finesse dans maint détail, le souci de l'exactitude marqué par des restrictions et les correctifs qui souvent découpent les affir- mations sur l'étroite vérité. Cette marque de l'intelligence pondérée, précise et rompue aux nuances psychologiques de l'auteur de la Philosophie de l'Fspi'it humain, n'est -pâs ici indifférente. Elle démontre que Burns a été étudié de près par un œil pénétrant, et qu'on peut se fier à ce portrait. Et, ici encore, ce n'est pas trop de dire que quelques-unes des critiques se retournent contre celui qui les a faites. On comprend que Dugald Stewart qui avait un « penchant pour l'humour paisible ^ » et dont on a dit que ses manières étaient comiiate condita gravitas, n'ait pas

1 Dugald Stewarl's Letter respectlng Burns. Gurrie, p. 33.

2 Lord Cockburn. Memoriah, p. 20.