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goûté entièrement l'humour inouveiuenté, robuste et parfois violent de Burns. Ce qu'il dit sur les épigrarames du poète est juste d'ailleurs : Burns n'était pas l'homme des pointes verbales. Mais n'est-il pas clair aujourd'hui que, dans la discussion à propos de Franklin et de Junius, Burns avait dix fois raison. Il n'y a pas d'homme qui ne préfère les puissantes déclamations du second au bavardage bonhomme du premier, pour peu qu'il aime un style qui ait de la force et du sang. Aujourd'hui, Franklin n'est plus guère qu'un donneur de conseils excellents pour les jeunes gens ; Junius reste un des maîtres de l'invective et de l'éloquence politiques ; Junius est encore une lecture d'homme d'Etat ; Franklin est une lecture pour les écoles primaires des Etats-Unis. C'était Burns qui avait raison contre Dugald Stewart et le goût du poète à juger les œuvres de prose était beaucoup plus sûr que son juge ne le pensait. Ces détails rectifiés, c'est un joli épisode que ces deux hommes, si différents, cau- sant dans leurs promenades matinales ; et c'est un joli tableau que Dugald Stewart « le plus admirable liseur que j'aie jamais entendu * » lisant à Burns les poésies qu'il ignorait, jusqu'à ce que les larmes coulassent sur le visage hâlé du poète et que peut-être la voix tremblât un peu sur les lèvres du philosophe.

Enfin le troisième de ces témoignages est peut-être moins décisif et surtout moins serré, parce qu'il sort d'un esprit moins mûr et moins expéri- menté, mais il est peut-être plus curieux. C'est l'impression faite par Burns sur Walter Scott, qui allait alors vers ses seize ans et qui depuis quelques mois était clerc dans l'étude de son père ^. Il ne faut pas oublier toutefois que Walter Scott était un garçon d'une extraordinaire précocité d'esprit et d'une puissante mémoire. Il était, dès alors, très capable d'observer et de juger, et on peut être certain que son jugement a été conservé très exactement dans son souvenir. Il raconte lui-même dans quelles circonstances se produisit cette rencontre, avec l'aisance de récit un peu prolixe mais toujours très bien construit, qui lui est habituelle.

Quant à Burns, je |)uis dire vraiment : Virgilium vidi tantum. Jetais un gars de quinze ans en 1786-87, quand il vint pour la première fois à Edimbourg, toutefois je comprenais et je sentais assez pour m'intéresser à sa poésie et j'aurais donné tout au monde pour le connaître. Mais j'avais peu de connaissances dans le monde littéraire, et encore moins parmi la gentry des comtés de l'ouest : c'étaient les deux sociétés qu'il fréquentait le plus. M. Thomas Grierson était à cette époque clerc chez mon père. 11 connaissait Burns et me promit de l'amener chez lui à dîner, mais il n'eut pas l'occasion de tenir sa promesse ; autrement j'aurais pu voir davantage de cet homme éminent. Cependant, je le vis un jour, chez feu le vénérable professeur Ferguson, où il y avait plusieurs messieurs de réputation littéraire, parmi lesquels je me rappelle le célèbre M' Dugald Stewart. Naturellement, nous autres gamins, nous restions assis silencieux,

1 Lord Cockbum, Memorials, p. 19.

2 Lockhart. Memoirs of Ihe Life of Walter Scott, chap. v.