Page:Angellier - Robert Burns, I, 1893.djvu/235

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— 224 —

à regarder et à écouter. La seule chose que je me rappelle de remarquable, dans les manières de Burns, fut l'effet produit sur lui par une gravure de Bunbury, re|)résen- tant un soldat étendu mort dans la neige, son chien se lamentant d'un côté et de l'autre sa veuve tenant un enfant dans les bras. Au-dessous étaient écrits ces vers :

Glacée, sur les collines canadiennes, ou sur la plaine de Minden,

Peut-être cette mère a pleuré son soldat tué,

Penchée sur son bébé, ses yeux noyés de pleurs,

Dont les larges gouttes, qui se mêlaient au lait qu'il buvait,

Étaient le triste présage de ses années futures,

Pauvre enfant de misère baptisé dans les larmes.

Burns sembla très ému par la gi-avure, ou plutôt par les idées qu'elle éveillait dans son esprit. En vérité, il versait des larmes ! Il demanda de qui étaient ces vers, et il se trouva que personne d'autre que moi ne se rappelait (ju'ils se trouvent dans un poème à demi oublié de Langhorne, qui porte le titre peu séduisant de Le Juge de Paix. Je murmurai mon renseignement à un ami ; il le communiqua à Burns, qui me remercia d'un regard et d'un mot que je reçus alors, et je me rappelle aujourd'hui, avec un très grand plaisir, bien qu'il fût de pure politesse.

Sa personne était forte et robuste ; ses manières rustiques, non grossières ; une sorte de sans façon plein de dignité et de simplicité, qui devait peut-être une partie de son effet à la connaissance qu'on avait de ses talents extraordinaires. Ses traits sont représentés dans le tableau de M. Nasmyth, mais pour moi celte peinture donne l'idée qu'ils sont rapetisses, comme s'ils étaient vus en éloignement. Je pense que sa contenance était plus massive qu'elle ne l'est dans aucun de ses portraits. Si je n'avais pas su qui il était, j'aurais pris le poète pour un très sagace campagnard, un fermier de l'ancienne école écossaise, c'est-à-dire non pas un de nos agriculteurs modernes qui ont des ouvriers pour faire leur gros travail, mais le bon fermier qui tenait sa propre charrue. Il y avait une forte expression de bon sens et de sagacité dans tous ses traits ; l'œil seul, je pense, indiquait le caractère et le tempéramenl poétiques. Il était large el d'une couleur sombre qui flamboyait (je dis littéralement flamboyait) quand il parlait avec sentiment ou intérêt. Je n'ai jamais vu un autre œil pareil à celui-là dans une tête humaine, bien que j'aie vu la plupart des hommes distingués de mon temps. Sa conversation exprimait une parfaite confiance en soi, sans la plus légère présomption. Parmi ces hommes qui étaient les plus savants de leur temps et de leur pays, il s'exprimait avec une parfaite fermeté, mais en même temps avec modestie. Je ne me rappelle aucun fragment de sa conversation assez distinctement pour le citer, le ne le revis plus que dans la rue, où il ne me reconnut pas, et je ne pouvais pas m'attendre à ce qu'il me reconnût. Il était très choyé à Edimbourg, mais (si l'on considère ce que les émoluments littéraires ont été depuis cette époque) les efforts faits pour le secourir furent extrêmement mesquins.

Je me souviens que, dans la circonstance que je mentionne, je pensai que la con- naissance que Burns avait de la Poésie anglaise était plutôt limitée, et aussi qu'ayant vingt fois les capacités d'Allan Ramsay et de Fergusson, il parlait d'eux avec trop d'humilité comme de ses modèles. Il y avait sans doute une certaine faiblesse nationale dans son jugement sur eux.

Voilà tout ce que j'ai à dii e sur Burns. J'ai seulement à ajouter que son costume cor- respondait à ses façons. Il avait l'air d'un fermier habillé de son mieux pour aller dîner avec son propriétaire. Je ne parle pas in malam parlem en disant que je n'ai jamais vu d'homme, dans la société de ses supérieurs en position et en connaissances, plus parfaitement exempt de tout embarras réel ou affecté. On m'a dit, mais je n'ai pas