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Ses biographes récents, dont quelques-uns sont clergymen, laissent volontiers dans l'ombre ces aspects de sa vie, sans lesquels elle est incomplète. Ils finiraient par la fausser , par en altérer le caractère en n'en représentant qu'une partie, et par dégager de la réalité, oîi les défauts sont souvent de vigoureuses touches de nature , un Burns atténué. C'étaient là des écarts bien excusables et presque inévitables chez un jeune homme avide de vie et fougueux. Il n'y a aucun blâme à y attacher. Le seul sentiment qui puisse venir est un sentiment de regret pour ces dissipations inutiles et ces folles prodigalités de temps, de jeunesse et de santé.

Un autre inconvénient résulta de ces soirées à la taverne : l'habitude de trôner, d'être le maître de la conversation, de ne pas avoir de contradicteurs. Il y prit un ton hautain , impatient de toute opposition , quelque chose de brusque et de péremptoire, qu'il ne parvenait qu'avec peine à dominer dans d'autres lieux. C'était une disposition naturelle que les circonstances exagéraient en lui. Avec des réserves, tous ceux qui l'ont connu alors en parlent ; on devine que ce dut être son défaut le plus visible, l'endroit faible de sa conduite, si solide d'ailleurs.

Il commença à contracter un peu d'arrogance nouvelle dans la conversation. Accou- tumé à être, parmi ses compagnons favoris, ce qu'on appelle vulgairement mais avec expression ^> le coq de la société -s il avait peine à refréner une liberté habituelle et un ton de conversation décidé et dictatorial, même au milieu de personnes moins disposées à endurer sa présomption avec patience i .

Ce n'étaient là, bien entendu, que des germes de mal. Ils existaient cependant. Les circonstances ne les laissèrent pas dormants. Il faut cependant la connaissance de ce qu'ils sont devenus, pour leur donner dès à présent leur importance. Ils étaient, pour le moment, à peine visibles et cachés à la prévision de tous. Ce qu'il y a de certain, c'est que ce séjour à Edimbourg était en train de produire sur Burns une insensible et lente détérioration.

Ce qui avait contribué à entretenir un certain malaise dans l'esprit de Burns, c'était l'incertitude de ce qu'il allait faire. Il était arrivé à Edimbourg, sans idée bien arrêtée, surpris par son succès et peut-être grisé de mille espérances vagues. Cette ivresse commençait à se dissiper. Au mois de janvier, il écrit « qu'il est aussi ténébreux que l'était le chaos » en ce qui concerne l'avenir. Un de ses patrons, M"" Miller, lui a parlé d'une ferme située sur un domaine, qu'il vient d'acheter dans les environs de Dumfries. C'est la première fois qu'apparaît dans son histoire ce nom qui y reviendra souvent et qui doit la clore. Il est disposé à aller

1 R. Héron. Life of Burns, p. 436.