Page:Angellier - Robert Burns, I, 1893.djvu/64

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été pénible, insurmontable. Il y apportait, avec un cœur récemment blessé, un amour-propre meurtri. Un travail sain à l'air libre, la puis- sance de la nature à cbanger nos peines en rêveries, l'auraient apaisé ; cette vie étrécie et emmurée, d'une fatigue nouvelle et exaspérante pour les nerfs, renferma sa douleur, l'aigrit, la rendit plus corrosive et plus dévorante. Puis, au lieu de la popularité à laquelle il était accoutumé, c'était, pour lui plus que pour d'autres , un isolement plus dur, dans une populace de matelots , d'ouvriers et de déchargeurs. Enfin cet indéfinissable et invincible sentiment, la nostalgie, se mettait delà partie. Il eut un de ces accès de désespérance oîi l'âme et le corps s'affais- sent en même temps, s'entraînant l'un l'autre dans leur descente. Il en arriva à être dans un état terrible : « Le mal final qui amena l'arrière-garde de ce cortège infernal fut que ma maladie d'hypocondrie s'irrita à un tel degré que, pendant trois mois, je fus dans un état délabré de corps et d'esprit qui eût été à peine enviable pour ces misérables sans espoir qui viennent d'entendre leur juste sentence : « Retirez-vous de moi, maudits ^ » C'est dans cette condition qu'il passa la fin de l'année 1781. Aussi l'impression de cette période est celle d'une tristesse et d'un accablement infinis. Une personne qui l'avait connu alors racontait, en 1826, àR. Chambers, que ce qu'on avait remarqué en lui était sa mélan- colie. Parmi les gens ordinaires, il restait assis pendant des heures, la tête dans la main, et le coude sur le genou ; c'était seulement lorsqu'un homme intelligent ou une femme se joignait à la société qu'il s'éveillait et s'ani- mait un peu 2. Lui qui, tant de fois, avait jeté tout le village dans des convulsions de rire et avait suspendu à ses lèvres ses rudes auditeurs, s'était renfermé dans le chagrin et le silence. Le changement d'existence et plus encore la souffrance morale avaient en outre altéré et débilité sa santé. Il était devenu gravement malade d'une maladie nerveuse. Dans une lettre à son père, il a laissé le tableau désespéré de la faiblesse de son corps et du découragement de son âme.

« Ma santé est à peu près la même que quand vous étiez ici, seulement mon som- meil est un peu meilleur, et, à tout prendre, je suis plutôt mieux qu'autrement, bien que je ne m'améliore que bien lentement. La faiblesse de mes nerfs a tellement débi- lité mon esprit que je n'ose ni revoir les événements passés, ni regarder du côté de l'avenir ; car la moindre anxiété et le moindre trouble dans ma poitrine produisent les effets les plus désastreux sur toute ma machine. Quelquefois, à la vérité, pendant une heure ou deux, mes esprits s'allègent un peu, je jette un rapide regard dans le futur, mais ma principale occupation et la seule qui me soit douce est de considérer le passé et l'avenir d'une façon religieuse et morale. Je suis transporté à la pensée qu'avant longtemps, peut-être bientôt, je dirai un éternel adieu à toutes les peines, agitations, et inquiétudes de cette pénible vie, car je vous assure que j'en suis

1 Aulobiographical Letter lo Z>»' Moore.

2 R. Chambers, tome I, p. 55.