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appréhensions les poursuivent sans cesse. Ils n’ont pas même les consolations de l’amitié ! Des hommes qui se rencontrent sur ce terrain ne se regardent point d’un œil affectionné ou compatissant. Tous les sentimens de la nature sont morts dans leur cœur ; l’intérêt purement personnel est plus fort chez eux que toutes les autres passions ; et les bassesses, et les calomnies, et les trahisons, c’est la monnaie dont ils se paient entre eux. Tous les printemps, quand les prisons se vident, et que la navigation jettent sur nos bords ses flots de populations diverses, ce troupeau infecté se répand dans les champs et se grossit chaque jour d’habitués de prisons, de matelots mécontens, d’avanturiers, de fénéans et de débauchés.

Alors il n’est pas sûr de passer vers le soir, seul, au coin d’un bois ; car si votre mise annonce un contribuable, quatre bandits vous prennent à la gorge, lèvent sur vous l’impôt, et s’enfuient, vous laissant demi-mort sur la place. Ils ont dans les bois leurs retraites, leurs fontaines, leurs cavernes, et dans les environs leurs auberges et leurs tripôts.

Quand ils ont fait quelque bonne prise, la marmite s’accroche à la branche d’un arbre, la volaille cuit en plein air et se mange sur l’herbe ; la lune et les étoiles voient des rendez-vous amoureux, de dégoutantes orgies, des complots iniques, des sommeils courts et agités.

Le croirait-on ? ces hommes infâmes, endurcis, dénaturés, sont les jouets et les esclaves de femmes encore plus infâmes qu’eux. C’est pour elles qu’ils volent, qu’ils jouent leur vie, qu’ils prodiguent ce qu’ils ont enlevé au péril de leurs jours : tant il est vrai que l’amour, même dans des hommes morts à tout autre sentiment, est la plus violente et la plus dévouée de toutes les passions ; et tant il est vrai aussi que l’homme vicieux et corrompu n’est que faiblesse et lâcheté. Il serait affreux de révéler les drames de sang dont le bois du Carouge a été fréquemment le théâtre, et de raconter les jalousies, les vengeances et les meurtres que l’indifférence et l’apathie des criminels, froidement témoins de ces scènes, ont laissés dans l’oubli.

— « Oh ! les lâches, » dit Cambray, comme ils marchaient vers le groupe qu’ils avaient d’abord apperçu, « vois les donc fuir : ils nous prennent pour les hommes de la Police. Ils ne sont jamais bien sûrs d’être innocens ces gens-là. »

Cependant quatre ou cinq bandits, car ce groupe n’était rien autre chose qu’un ramas de canaille, étaient restés bravement sur le terrain, et riaient aux éclats, adressant des paroles de mépris à leurs compagnons que l’approche d’anciennes connaissances avait mis en fuite. À l’instant Cambray quitte son associé, et s’avançant vers les cinq brigands, frappe