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La société anglaise ou plutôt la partie de la société anglaise que peint Jane Austen semble au lecteur moderne appartenir à un passé dont on retrouve aujourd’hui peu de traces. Si fidèle que l’on sente cette peinture, malgré l’impression de sincérité et de vérité qui s’en dégage, les héros de Jane Austen et le monde dans lequel ils vivent apparaissent, à un siècle de distance, dans un recul qui les transpose de la réalité au domaine de la fiction et presque, dirait-on, au pays de la Belle au Bois Dormant. Cette impression d’irréel produite par une œuvre indubitablement réaliste, fait naître en notre esprit une série de questions auxquelles il est peut-être difficile de répondre et qu’il importe cependant de formuler.

La « gentry » de Jane Austen, aujourd’hui si lointaine, a-t-elle donc subi en cent ans de si profondes modifications ? Quels changements superficiels ou quelles transformations radicales se sont donc produits pour qu’une étude de mœurs, datant des premières années du xixe siècle, ne corresponde plus de nos jours à la réalité ? Pourquoi ces hommes et ces femmes, personnages charmants ou humoristiques, qui demeurent vrais en tant qu’individus, nous semblent-ils se mouvoir dans une atmosphère si étrangère à la nôtre ? Pourquoi enfin, ces êtres dont les actions et les pensées sont conformes, non seulement aux coutumes et aux conventions de leur siècle mais aux grandes lois morales qui régissent en tout temps l’activité et les relations des hommes, nous apparaissent-ils comme un peu en dehors — non point au-dessus ni au-dessous — de ces mêmes lois ?

La différence entre la société de province de l’Angleterre actuelle et celle dont nous retrouvons l’image dans le roman de Jane Austen ne tient pas uniquement à des modifications extérieures. On voit encore aujourd’hui, en parcourant la campagne anglaise, des presbytères fleuris, isolés et paisibles, des châteaux à tour normande, qui pourraient s’appeler le presbytère de Mansfield,