Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/413

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odieux à nous-mêmes et aux autres si nous leur demandons de nous apporter, en même temps qu’elles nous acheminent vers l’inévitable déclin, un peu plus d’intelligente sympathie.


Avant Jane Austen, une héroïne de roman, qu’elle se nomme Clarissa, Sophia Western ou Evelina, qu’elle soit la pauvre Maria du « Voyage Sentimental » ou la vertueuse Pamèla Andrews, a toujours quelque chose d’un peu conventionnel, une grâce, une timidité, ou une sensibilité un peu apprêtées. Par sa beauté, par ses aventures ou ses infortunes, elle est un être d’élite, dont les perfections et les malheurs nous sont présentés sous un jour spécial qui leur donne un éclat inconnu à la vie réelle. Quelque chose de l’optique du théâtre demeure dans le roman, au moins en ce qui concerne l’héroïne, que nous voyons surtout dans des situations exceptionnelles et rarement dans sa vie journalière ou dans le négligé de sa toilette. À moins que la belle ordonnance de sa coiffure ne soit dérangée par une lutte soutenue contre de cruels ravisseurs, elle ne se montre d’ordinaire que pimpante et parée. Nous sommes conviés à contempler sa beauté souveraine ou à déplorer ses infortunes sans pareilles, mais nous ne connaissons d’elle qu’un seul aspect. Est-elle bonne, l’auteur ne la met en scène que pour lui donner l’occasion de manifester sa bonté, et si elle est prudente et avisée, il nous faudra l’apprendre jusqu’à ce que sa prudence nous devienne insupportable. Cette héroïne bourgeoise, qui appartient à la même classe que ses lecteurs et vit à la même époque ressemble encore, par certains côtés, à ces abstractions personnifiées que sont les Una, les Duessa, ou les Gloriana de Spenser. L’auteur la rapproche de la réalité vivante, il la fait évoluer dans un décor familier, et cependant elle n’atteint pas entièrement à la vie. Si, à certains moments, nous voyons en elle une personne, elle est parfois la personnification de la vertu, du malheur ou de la