Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/441

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douce et digne d’être vécue avec amour et joie ; écarter, soit involontairement, soit de propos délibéré, de toutes les images qu’on en donne ce qu’elles contiennent d’inévitables tristesses, de séparations et de deuils, n’est-ce pas proclamer, mieux que ne pourraient le faire les raisonnements les plus subtils et les arguments les plus forts, son goût de la vie et sa constante volonté de bonheur ? De ces romans dont l’étude psychologique n’est jamais enchaînée suivant des principes et des formules mais nous est toujours présentée dans sa variété, dans ce qu’elle a d’unique et de personnel, on peut dégager une philosophie de la vie. Philosophie qui, pour se revêtir d’aimables apparences, n’en est pas moins dogmatique et ne laisse aucune place à l’inquiétude ni au doute chez celle qui la met en pratique dans sa propre vie et l’expose dans son roman. À l’atmosphère extérieure ouatée de paix, de bien-être et de contentement, correspond ici une atmosphère de sérénité morale, de quiétude, de contentement intérieur. Une artiste moins sûre de son pouvoir, un psychologue moins avisé, essaierait de créer cette double atmosphère en affirmant que la paix et la joie sont les lois de la vie. Jane Austen n’affirme rien de semblable ; elle se contente de le prouver. Une exquise romancière — que la génération nouvelle oublie un peu — Mrs. Gaskell, dit, aux premières pages de « Cranford », cette épopée victorienne de la vie provinciale et féminine : « Miss Jenkins ne s’inquiétait pas de discuter si les femmes valaient mieux que les hommes, elle le savait. » Cette attitude est celle de Jane Austen devant la vie et la société. Parce qu’elle connaît la bonté d’une existence qui ne lui a jamais imposé de souffrances trop cruelles, parce qu’elle sait regarder en face, et toujours avec un sourire, les contradictions, l’absurdité et la sottise qui apparaissent à la surface des choses, elle garde devant la vie une inébranlable confiance, une entière certitude que le pouvoir inconnu qui gouverne le monde veut en tout l’ordre et le bien. Son goût de la vie n’est pas entretenu seulement par l’absence de toute