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Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/453

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En lisant ce passage, on partage le malaise de Fanny Price, transplantée de Mansfield à Portsmouth, et l’on comprend la révolte involontaire, le dégoût, l’éloignement que lui inspire la maison paternelle :

« Fanny était plongée dans d’autres pensées. Le souvenir de la première soirée passée dans cette pièce, de son père avec son journal déplié, lui traversa l’esprit. Aujourd’hui, on n’avait plus besoin de chandelle. Pendant une heure et demie le soleil resterait encore au-dessus de l’horizon. Elle se rendait compte qu’elle était à Portsmouth depuis trois mois, et les rayons du soleil, en pénétrant dans la chambre, au lieu de la réjouir, augmentaient sa mélancolie. Dans une ville, le soleil lui semblait tout différent du soleil de la campagne. Ici, son éclat n’était qu’une réverbération aveuglante, insoutenable, étouffante; il ne servait qu’à faire ressortir les taches et la crasse qui, autrement, auraient passé inaperçues. Il n’y avait ni joie ni bien-être physique dans ce soleil de la ville. Elle restait assise, étourdie de lumière et de chaleur, dans un nuage de poussières dansantes. Son regard ne pouvait aller que du mur, où la tête de son père, en s’appuyant, avait laissé une marque, à la table tailladée par les couteaux de ses frères. Sur la table était disposé le plateau à thé — jamais complètement nettoyé — , portant les tasses et les soucoupes où le torchon avait laissé des traînées humides, le lait — mélange de petits globules flottant dans un liquide bleuâtre — , les tartines beurrées qui, à chaque minute, devenaient plus graisseuses encore qu’en sortant des mains de Rébecca ». [1]

Cette description, pour qui n’en connaîtrait pas l’origine, pourrait être attribuée sans invraisemblance à tel des maîtres français du réalisme et du naturalisme modernes. Avec son austère et poignante vérité, cette page nous laisse une impression d’angoisse et l’on y sent vibrer, avec la sincérité de l’artiste, la répugnance de la patricienne devant un spectacle qui offense la délicatesse de

  1. Le Château de Mansfield. Chap. ΧLVI.