Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/452

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appartient sa famille ; elle choisit encore parmi les aspects que la réalité lui présente ceux qqui, seuls, lui semblent propres à fournir les éléments d’une œuvre d’art. La femme qui écrit les lettres a, d’après le témoignage de sa correspondance, une vie plus active, plus ouverte, plus pleine que celle dont la « dame », auteur d’« Orgueil et Parti pris », nous présente l’image. Si isolés que soient Steventon et Chawton, si étrangers que soient leurs habitants à toutes les préoccupations comme à tous les événements de l’époque, ils sont moins isolés et moins éloignés de tous les grands courants de la vie contemporaine que Mansfield ou Highbury. Par une sélection rigoureuse et pour arriver à cette claire vision d’une parcelle de la réalité qui est le but de son art, Jane Austen écarte de son œuvre tout ce qui n’appartient pas essentiellement au petit groupe sur lequel elle concentre son attention. Bien plus, elle éloigne de son observation la souffrance, la tristesse et la laideur. Comment, alors, objectera-t-on, peut-on donner le nom de réaliste à cet art qui épure le réel, l’élague de tant de rameaux, pour en présenter une image simplifiée, ordonnée, et joyeuse, et claire ? Ce procédé de simplification n’est pas incompatible avec le réalisme. Son choix fait, et lorsqu’elle a écarté du cadre de son roman tous les aspects du réel qu’elle n’a pas le dessein de reproduire, Jane Austen apporte à son étude la plus minutieuse, la plus entière sincérité. Lorsque le spectacle d’une réalité pénible et laide lui est imposé un instant par la nécessité extérieure du développement de l’intrigue, elle n’hésite pas à le peindre, sans chercher à dissimuler tout ce qu’il contient de sombre et de triste. Sa probité artistique lui fait alors apporter à la description de la pauvreté et du désordre le même souci de vérité qu’elle met à évoquer l’élégance, la paix et le bien-être. Son besoin de voir clairement et de dire franchement toute vérité qui rentre dans le champ de sa vision s’exprime dans un passage du « Château de Mansfield » avec une vigueur, avec une âpreté surprenantes.