Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/460

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pittoresque ou de l’exceptionnel dans le décor, Jane Austen n’approuve point qu’on fasse montre d’une trop grande sensibilité à la beauté de la nature. Elle ne démêle pas la part de sincérité que renferment les exagérations des romans à la Radcliffe ; elle ne voit que le convenu et la banalité de leurs descriptions. Aussi refuse-t-elle de s’émouvoir devant la touchante évocation d’une Marciana ou d’une Emily, arrosant de ses mains frêles les quelques fleurs qui, dans le château où un cruel ravisseur la tient enfermée, consolent sa détresse et parfument sa solitude. Jane Austen ne nous laisse pas ignorer le dédain que lui inspirent de pareilles images. À l’époque où elle parle dans ses lettres, avec une tendresse évidente, des fleurs et des arbres de son jardin, elle raille spirituellement dans « L’abbaye de Northanger » l’amour des fleurs commun à toutes les héroïnes pitoyables et sensibles de Mrs. Radcliffe. Dès les premiers chapitres, Catherine Morland avoue un sentiment bien fait pour déshonorer, aux yeux des lecteurs, une héroïne de roman : son indifférence totale à l’égard des fleurs. Car Jane Austen ne consent pas à voir dans l’amour de la nature l’apanage exclusif des êtres d’élite. Ce n’est pas, à son sens, faire preuve d’une âme basse et vulgaire que de ne point vouer à la nature un amour passionné. Elle « chérit » les arbres et trouve « un avant-goût des joies du Paradis » dans la beauté douce d’un site familier, mais elle juge que de tels sentiments ne doivent point être étalés à tout propos. Comment, d’ailleurs, comprendrait-elle la véritable portée et la signification profonde de ce retour à la nature, de cet éblouissement devant sa beauté qui s’exprime déjà dans le décor des romans de Mrs. Radcliffe et de ses imitateurs ? Son attitude est inspirée par une conception différente de la conception romantique, son point de vue purement humain lui fait envisager la nature comme destinée à servir uniquement au bonheur et au plaisir de l’homme. Il est une autre portion de la réalité à laquelle Jane Austen n’accorda jamais aucune tendresse et fort peu d’at-