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Rousseau et de l’arracher à son fâcheux entourage, il lui avait proposé, d’accord avec quelques membres du Conseil, la place de Bibliothécaire. Jean-Jacques hésita quelque temps, puis, dans la lettre qui va suivre, il explique à Tronchin les motifs de son refus.

Je vous dois beaucoup de remerciements, mon cher philosophe, lui écrit-il, mais je ne vous en fais point, et je trouve cela beaucoup plus convenable entre nous que les louanges que vous me donnez, et je vous laisse à juger là-dessus lequel de nous deux sait le mieux honorer l’autre.

Je ne vous taxais pas d’avoir oublié notre conversation du Parc de la Chevrette, au contraire je répondais à votre précédente lettre qui paraissait m’en taxer moi-même. Ainsi soit dit une fois pour toutes. Il m’est impossible de vous envoyer encore la note en question jusqu’à ce que je sois mieux déterminé sur le choix de ce que j’y dois faire entrer, car j’ai plusieurs choses commencées et j’aurais bien envie d’en finir quelque-unes, mais je ne sais lesquelles ni si j’y pourrai réussir. Ce qui me rend là-dessus d’une si grande paresse, c’est premièrement que je n’ai plus de génie et cela est très certain : facit indignatio versus et je n’habite plus la ville. De plus je me suis jeté je ne sais comment dans des amusements d’un genre si différent qu’ils m’ont tout à fait relâché l’esprit sur les choses utiles. Ô que vous me mépriserez, quand vous saurez de quelle sorte d’ouvrage je m’occupe, et qui pis est avec plaisir !

Quoiqu’il en soit, je tâcherai toujours de vous envoyer ma note d’ici à cinq ou six semaines[1].

Quant au projet que vous inspire votre amitié pour moi, je commence par vous déclarer qu’on ne m’en a jamais proposé qui fût autant de mon goût et que ce que vous imaginez est précisément ce que je choisirais s’il dépendait de moi. Mais où prendrais-je les talents nécessaires pour remplir un tel emploi ; je ne connais aucun livre, je n’ai jamais su quelle était la bonne édition d’aucun ouvrage, je ne sais point de grec, très peu de latin et n’ai pas la moindre mémoire ? Ne voilà-t-il pas de quoi faire un illustre Bibliothécaire ? Ajoutez à cela ma mauvaise santé qui me permettrait difficilement d’être exact et jugez si vous avez bonne grâce à comparer vos fonctions à celles que vous me proposez, et si la probité devrait même

  1. Mss. Tronchin. De l’Hermitage, 27 février 1757. Inédit.