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ANDRÉ JOUSSAIN

Je me suis dirigé vers des cimes lointaines
Sous le vent et la grêle, au péril de l’éclair.
J’ai, pieux pèlerin, marché sous le ciel clair,
Sans ramasser les fruits et sans boire aux fontaines.

Mais lorsque j’ai touché les sommets convoités,
Et foulé d’un pied sûr les neiges éternelles,
J’ai vu soudain la haine enflammer les prunelles
Que d’un éclat trop vif aveuglait ma fierté.

Hommes sans foi, de quoi se plaint votre colère ?
Suis-je votre rival ? D’un front impérieux
Ai-je exigé de vous l’honneur qu’on rend aux dieux ?
Ai-je réclamé plus que mon juste salaire ?

Je n’ai point, comme vous, construit mon propre autel,
Ni mendié l’encens qui plaît aux âmes viles,
Mais libre, et dédaignant le ruisseau de vos villes,
J’ai marché le front haut, me sachant immortel.

Évitant mes regards dont la fierté vous blesse,
Vous affectez de prendre en pitié mon ardeur.
Hommes qui me raillez, je connais ma grandeur :
Je n’en rougirai point devant votre faiblesse.

Non, de peur d’alarmer vos sottes vanités,
On ne me verra pas, honteux de ma victoire,
Renier mon génie ou rabaisser ma gloire,
Et de mon œuvre altière excuser les beautés.

Votre main cache un feu que votre bouche attisée
Comme un tyran, gêné par un secret effroi,
Règne, et pourtant hésite à se proclamer roi,
Vous déguisez l’ardeur de votre convoitise.