Page:Apoukhtine - La Vie ambiguë.djvu/191

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saules ; plus loin, s’étendait un champ inculte et noir et, malgré toute la tristesse de ce paysage, j’avais l’indistinct souvenir de quelque chose d’agréable qui s’y serait écoulé. Mais pourquoi cette obscurité ? pourquoi n’y a-t-il là nul être vivant ? pourquoi toutes les isbas sont-elles ouvertes ? à quelle époque ai-je vécu dans cette campagne ? est-ce pendant la guerre des Tatars ? quelque invasion a-t-elle ruiné ce nid, ou bien les voleurs qui vivaient dans le village en ont-ils chassé les habitants sur la forêt et le steppe ? Je rebroussai chemin jusqu’au pont et me dirigeai à gauche vers la montagne : même solitude, même spectacle de désolation. Près d’un puits en ruine, je vis enfin un être vivant : un très vieux chien, étique et pelé, et qui paraissait sur le point de mourir de faim ; ses vertèbres et ses côtes étaient presque à nu ; avec des efforts convulsifs, il se dressa sur ses pattes, mais ne put se mouvoir, et, retombant dans la boue, il se mit désolément à ululer.

De toute mon âme je m’efforçai de voir cette campagne sous un autre aspect : un soleil pourpre se lever, puis disparaître nonchalamment derrière la montagne, des moissons onduler, le fleuve et la montagne briller comme de l’argent dans les nuits glacées de