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CONTES DE PARIS ET DE PROVENCE

flottait et que l’énorme échancrure petit à petit faite au drap laissait largement passer la bise.

Le sergent La Ramée, qui revenait par là avec une charge de victuailles, trouva le malheureux petit fifre assis et pleurant.

— Qui est-ce qui m’a fichu un soldat qui pleure ?

Pour toute réponse, hélas ! le petit fifre se dressa et se retourna.

— Mauvaise affaire ! murmura le vieux La Ramée, après avoir longuement considéré le corps du délit : détérioration d’effets d’équipement et d’habillement fournis par le gouvernement, c’est un cas de conseil de guerre !

Puis, ces mots prononcés, il s’en alla en reniflant les poils de sa moustache.

Le petit fifre pleura plus fort. Il se voyait déjà arrêté, mis dans un cachot noir, amené, entre deux gendarmes, devant ses juges. Vainement il essayait de les attendrir, disant :

« Ce n’était pas pour moi, c’était pour apporter un plat de grenouilles à grand’mère, qui est vieille et pauvre et n’a pas de quoi faire son réveillon. »

Le Code militaire restait inflexible. On le dégradait, on lui brisait son fifre et sa petite épée, on le conduisait dans une prairie où, deux mois auparavant, il avait défilé avec la garnison, musique en tête, devant un conscrit fusillé… Alors, songeant à sa grand’mère, transi par le froid, la tête perdue, il eut comme l’envie de mourir tout de suite et se laissa glisser sur le sol gelé vers le trou d’eau noire où déjà des étoiles luisaient…

Dans quel merveilleux paysage le petit fifre se