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LE FIFRE ROUGE

trouva ! À perte de vue les voûtes de glace laissaient filtrer une lumière blanche et douce ; et de longues herbes vêtues de cristal formaient des architectures brodées les plus magnifiques du monde. À droite, à gauche, le long des berges, dans de petites grottes, des grenouilles de toute espèce, en nombre innombrable, dormaient. Il en remplissait d’immenses paniers qu’il destinait à mère-grand… Le conseil de guerre ne l’effrayait plus. Il ne se rappelait plus que vaguement le désastre de son haut-de-chausses. Une seule chose l’étonnait un peu : d’avoir si chaud sous la glace et dans l’eau… Puis il se sentit très heureux et comprit qu’il allait dormir comme les grenouilles.

Le petit fifre dormit longtemps. Tout à coup une voix connue l’éveilla : c’était la voix de mère-grand :

— Chut, disait-elle, il ouvre les yeux… Oh ! le méchant garçon qui vous fait des transes pareilles !

Le petit fifre fut repris de peur quand il aperçut au pied de son lit les yeux embroussaillés et les longues moustaches de La Ramée.

— Le haut-de-chausses ! le conseil de guerre !… Ne me laissez pas emmener !…

Et il s’accrochait avec désespoir au casaquin de sa grand’mère. Mais sa grand’mère le rassura : ce bon La Ramée l’avait tiré de l’eau, à moitié gelé et tremblant la fièvre, puis il avait raconté l’aventure au colonel, et le colonel attendri venait précisément d’envoyer, par un homme à cheval, une aune des boudin, pour le réveillon, avec une paire de chausses neuves.