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CONTES DE PARIS ET DE PROVENCE

vieille porte vermoulue dont elle aimait à faire reluire les ferrures ; elle oubliait que, faute de pouvoir la remplacer, ils en étaient réduits à fermer leur cabane avec un buisson.

Cependant, Jean Bénistan avait sur le cœur, comme un gros poids, les paroles de Tardive.

— La femme a raison, songeait-il, tout ce qui arrive, n’arrive qu’à cause de moi. Si je l’avais laissée mener la barque tranquillement, sans me mêler de rien, nous serions riches ; la maison aurait une porte, et les petits ne crieraient pas la faim… Maudites jambes, maudits bras ! Que ne me les coupa-t-on en nourrice ?… Mais je sais maintenant ce qu’il me reste à faire, mes jambes et mes bras n’étant bons qu’à être cassés.

Alors, profitant de ce que Tardive s’était endormie, il l’embrassa, bien doucement, afin de ne pas la réveiller. Il embrassa de même les enfants. Puis, ayant déplacé et replacé le buisson, il s’en alla dans la nuit noire.

Huit jours après. Tardive recevait une bourse contenant quelques écus. Elle devina, — le pays se trouvait en guerre, — que Bénistan avait dû se faire soldat.

Bénistan eut des aventures, car il était fort brave et ne s’épargnait point.

Un jour, se battant avec des Sarrasins qui venaient de débarquer et pillaient le long de la mer, Bénistan fut laissé pour mort par ses compagnons dans la mêlée. Mort ? non pas : mais évanoui. Il revint à lui entre le ciel et l’eau, au milieu de gens coiffés de turbans. Il comprit qu’on l’emmenait prisonnier