Page:Arène - Contes de Paris et de Provence, 1913.djvu/48

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
44
CONTES DE PARIS ET DE PROVENCE

descendu chez Castarini depuis la veille pour essayer les ailes et s’exercer.

Tranquille comme si de rien n’était, Castarini fumait sa pipe à sa fenêtre.

Il se fit peu d’affaires à cette foire-là ; légumes, paniers d’œufs, sacs de blé restèrent à l’abandon. Hommes et femmes, tout le monde attendait sous la fenêtre de Castarini.

À midi sonnant, Castarini éteignit sa pipe. Un instant après, il apparaissait sur la porte, tenant par la main Siffroy (d’Antonaves), rouge d’orgueil et décoré d’une immense paire d’ailes. Quatre mètres d’ailes pour deux écus, tout en papier d’argent et d’or ! Castarini évidemment en était du sien, Castarini avait bien fait les choses !

Aussi quelle joie quand, sur le vieil orme étêté dont la fourche formait plate-forme, on vit Siffroy (d’Antonaves) apparaître en costume de chérubin ! Siffroy n’était pas beau naturellement ; représentez-vous-le avec des ailes d’argent et d’or sur sa veste.

— Du large, vous autres ! cria Castarini ; et toi, Sififroy, aie bien soin de te lancer au troisième coup… Je compte : une, deux, trois !

Siffroy gonfla ses ailes, qui battirent au vent et frémirent. Il prit son élan, mais ne se lança point. Tant de têtes d’hommes et de femmes, tant d’yeux levés vers lui, tant de bouches ouvertes l’interloquaient ; et puis l’ormeau, maintenant, lui semblait haut comme un montagne.

— Recommençons : une, deux…

Les ailes retombèrent affaissées, et Siffroy déclara qu’il n’avait pas envie d’aller se noyer dans la mer.