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MON AMI NAZ

capillaire. De la pointe d’un couteau, elle enlevait — clac ! — le petit bouchon, puis renversait sa topette, le col en bas, dans le goulot d’une carafe pleine de belle eau claire. Le sirop s’écoulait peu à peu, avec un joli bruit, comme le sable d’un sablier. L’eau claire, le sirop s’y mêlant, se troublait de petits nuages couleur d’opale et d’agate, et de grosses guêpes attirées montaient et descendaient le long du verre, curieusement.

Mon ami Naz, qui était en fonds ce jour-là, but à lui tout seul huit ou dix carafes. Puis, la tête échauffée, il se mit au billard, à faire la partie !

Je le vois encore ce billard : un solennel billard — du temps de Louis le quatorzième, décoré de grosses têtes de lion à ses quatre coins, têtes de lion qui ouvraient avec fracas leur gueule en cuivre, chaque fois qu’au hasard de la partie une bille tombait dedans. Les billes, d’ailleurs, étaient en buis, les queues sans procédé, et les bandes, antérieures, paraît-il, à l’invention du caoutchouc, semblaient rembourrées de lisière. Quant au tapis, qui en décrirait les reprises sans nombre et les maculatures !

Mon ami Naz, ce jour-là, gagnait tout ce qu’il voulait. Pourquoi ne s’arrêta-t-il pas à temps ?

Naz gagnait tout : partie, revanche et belle. Il n’avait qu’à s’en aller ; il resta. Il n’avait, le dernier coup fait, qu’à poser la queue glorieusement. Il préféra, le dernier coup fait et marqué, garder la queue en main pour continuer sa série.

Et il la continua, le malheureux ! Il fit un, deux, trois carambolages ; il en fit cinq, il en fit six ; il