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CRANE DE NÈGRE

qu’il encombrait mon pupitre. Plus de place pour mes grenouilles ! J’hésitai quelque temps, puis j’en fis cadeau.

À partir de ce jour, le crâne eut une existence déplorablement tourmentée.

On le vit passer de classe en classe, de main en main, vendu, revendu, troqué, échangé pour des sous, des plumes, des billes.

Chacun peu à peu s’en dégoûta ; dédaigné de tous, au bout d’un mois, il tomba dans le domaine public.

Abandonné dans la cour, il fut successivement enterré, déterré nombre de fois.

Puis on le soumit à des expériences sacrilèges : on essaya de le casser à coups de pierre, mais il était dur ! On le mit sous le robinet de la fontaine pour voir s’il tiendrait l’eau.

Un de mes amis — cancre ingénieux qui faisait alors ses débuts dans la peinture à l’encre — s’avisa de l’illustrer de tatouages.

Injure suprême ! on le cira.

Et, reluisant et noir comme une botte, le crâne jadis vénéré fut placé subrepticement, en qualité de pièce ethnologique, dans le cabinet d’histoire naturelle, où Monsieur le Principal, faisant visiter son collège à des dames, le trouva le lendemain décoré de cette inscription :

CRANE DE NÈGRE !