Page:Arago - Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, tome 3.djvu/605

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Il serait superflu de raconter ici combien fut d’abord cruel dans la grande ville, le désappointement d’un jeune homme sons protection, sans relations, sans vocation décidée, et dont les faibles ressources pécuniaires s’épuisèrent rapidement. Contentons-nous de dire que si Bouvard n’avait pas le moyen de prendre chaque jour ses repas, il ne manquait jamais d’assister aux leçons publiques et gratuites du collége de France. Pendant quelques mois, son esprit flotta incertain entre les mathématiques et la chirurgie. Les mathématiques l’emportèrent ; les progrès furent rapides, et bientôt l’auditeur assidu de Mauduit, de Cousin, eut lui-même des élèves particuliers, parmi lesquels il s’est toujours complu à citer M. de Saint-Aulaire, actuellement ambassadeur de France à Londres, et le général Demarçay.

Le hasard (son rôle dans les événements de la vie est beaucoup plus grand que notre vanité ne consent à l’avouer) rendit Bouvard témoin des travaux de l’Observatoire. Dès ce moment naquit chez lui une véritable passion pour l’astronomie. Vous tous, Messieurs, qui avez vu notre confrère, constamment calme, réservé, vous trouverez peut-être que le mot de passion a ici quelque chose d’outré. Détrompez-vous : aux approches d’un phénomène céleste important, Bouvard était dans un état fébrile manifeste ; le nuage qui, dans le moment d’une éclipse d’étoile ou de satellite, menaçait de lui dérober la vue de la Lune ou de Jupiter, le plongeait dans le désespoir ; à la fin de sa vie, il rapportait encore avec une douleur naïve les circonstances qui, quarante années auparavant, l’avaient empêché de faire certaines obser-