Page:Arnaud - Recueil de tombeaux des quatre cimetières de Paris, 2.djvu/143

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le sort, qui les priva de ces plaisirs sublimes,
Ainsi que les vertus, borna pour eux les crimes ;
On n’a point vu l’épée, ivre de sang humain,
Leur frayer jusqu’au trône un horrible chemin ;
Ils n’ont pas étouffé dans leur âme flétrie
Et la pitié qui pleure, et le remords qui crie.
Jamais leur main servile, aux coupables puissans
N’a des pudiques sœurs prostitué l’encens ;
Et leurs modestes jours, ignorés de l’envie,
Coulèrent sans orage au vallon de la vie.
Quelques rimes sans art, d’incultes ornemens
Recommandent aux yeux ces obscurs monumens :
Une pierre attestant le nom, le sexe et l’âge,
Une informe élégie où le rustique sage
Par des textes sacrés nous enseigne à mourir,
Implorent du passant le tribut d’un soupir.
Eh ! quelle âme intrépide, en quittant le rivage,
Peut au muet oubli résigner son courage ?
Quel œil, apercevant le ténébreux séjour,
Ne jette un long regard vers l’enceinte du jour ?
Nature, chez les morts ta voix se fait entendre ;
Ta flamme dans la tombe anime notre cendre ;
Aux portes du néant respirant l’avenir,
Nous voulons nous survivre en un doux souvenir.
Et toi, qui pour venger la probité sans gloire,
Du pauvre dans tes vers chantas la simple histoire,
Si, visitant ces lieux, domaine de la mort,
Un cœur parent du tien veut apprendre ton sort,
Sans doute un villageois, à la tête blanchie,
Lui dira : traversant la plaine rafraîchie,
Souvent sur la colline il devançait le jour,
Quand au sommet des cieux le midi de retour
Dévorait les coteaux de sa brûlante haleine,
Seul, et goûtant le frais à l’ombre d’un vieux chêne,
Couché nonchalamment, les yeux fixés sur l’eau,