Page:Arnaud - Recueil de tombeaux des quatre cimetières de Paris, 2.djvu/165

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Alors, un bon génie, au front pur, à l’œil doux,
Me regarde en pitié, me parle sans courroux.

« Tu vois la mort, dit-il. Ton ame intimidée
S’en est fait au hasard une bien fausse idée.
Tu repousses le dieu qui te tendait les bras ;
Eh bien ! pour te punir, j’y consens : tu vivras.
Tu sauras à quel prix de douleurs et de larmes,
D’une frêle jeunesse on t’a vendu les charmes.
Tu peins ton avenir de riantes couleurs ;
Tes projets devant toi ne sèment que des fleurs.
Insensé ! mais bientôt les hommes vont t’instruire.
Tu bâtis un bonheur qu’un souffle va détruire.
Tu n’as pas calculé le nombre des méchans.
À la ville, au Parnasse, au barreau, dans les champs,
Ils t’atteindront partout. Partout l’homme est en guerre.
Tu cherches le repos : il n’est pas sur la terre.
Sur la terre, d’avance, on trouve les enfers.
Tu connaîtras l’exil, le naufrage et les fers.
Tu porteras en vain jusqu’à l’idolâtrie
La première vertu, l’amour de la patrie.
De cette passion martyr infortuné,
Quel fruit espères-tu de ton zèle obstiné ?
Serviteurs du public ! un caprice rapide
Aujourd’hui vous couronne, et demain vous lapide.
Sa justice tardive à la mort vous attend :
C’est à moi de fixer son suffrage inconstant.
La mort seule ne craint aucune tyrannie :
La mort seule, à jamais, brave la calomnie,
Désarme la vengeance, apaise la douleur,
Enchaîne la justice et finit le malheur.
Le sommeil rend l’esclave égal à l’homme libre ;
La mort rend éternel cet heureux équilibre.
La chaîne qui vous lie, elle vient la briser,