Page:Audebrand - Derniers jours de la Bohème, Calmann-Lévy.djvu/96

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donc dû ajouter un i à son nom de Masin, dont il avait fait Masini. Il paraît que c’était lui imprimer meilleure tournure. « Suis-je maintenant assez transalpin ? » disait-il en riant. Mais, d’ailleurs, quand il venait à la Brasserie, il se dépouillait de ses paillettes ; il ne parlait pas de son art, cherchant à n’avoir d’autre air que celui d’un bonhomme. Cependant il avait un moyen d’attirer l’attention. Après dîner, en sortant de table, il obéissait à une habitude bizarre. On le voyait exhiber devant sa chope un bloc de mie de pain. Cette mie, il ne se proposait pas de la manger, non, il en faisait un autre usage. Tout le temps que durait la soirée, il la pétrissait dans ses doigts et de façon à la faire revenir à l’état où elle avait été chez le boulanger avant d’être mise au four, je veux dire réduite en pâte. Quand les choses en étaient là, il l’arrondissait en boule de manière à la faire ressembler à une boule d’ivoire ou à un obus de petit format. Dès lors, il souriait à son œuvre et se disait que sa journée était bien finie.

En tant que musicien, ce brave garçon avait du talent, mais seulement en fait de romances. On sait qu’il a pris rang parmi les maîtres du genre. Pour le quart d’heure, les petites virtuoses du monde et de la haute bourgeoisie, les pensionnats et les colonies étrangères avaient adopté avec une excessive faveur une de ses récentes compositions. C’était une sorte d’invo-