Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/111

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La bête, la hideuse bête à deux têtes venait de s’interposer entre lui et moi, et dansait sa cruelle danse de haine.

Je n’attendis pas les paroles de surprises des deux amis. À ces deux-là dont je savais l’amour infini, j’osai enfin parler du monstre. Je le leur montrai tel qu’il m’apparaissait ; et je les suppliai de ne pas m’obliger au mariage.

Ils furent effrayés de mon exaltation, et promirent de chercher un remède à ce mal, que ni l’un ni l’autre n’avait pu soupçonner.

À l’instant de la séparation, ce ne fut pas un baiser fraternel que j’échangeai avec Valère Chatellier mais ce fut un baiser sans fièvre et plein de résignation.


Occupée au jardin depuis la pointe du jour, et lasse déjà du poids de la bêche en cette chaude matinée de juin, j’allai m’asseoir auprès du vieux mur qui bordait un chemin semé d’orties et de bouts de ferraille. J’étais là, tournant le dos au soleil, et les yeux à moitié clos sous la clarté trop vive lorsqu’une ombre lente passa sur moi. Croyant à l’arrivée de quelqu’un, je tournai la tête vers le chemin. Il n’y avait personne, mais sur le mur un chat jaune et blanc s’avançait avec précaution en me regardant. Il s’arrêta net en face de moi, et son regard méfiant et hardi, resta fixé sur le mien pendant quelques secondes. Brusquement il s’enfuit souple, leste, sautant adroitement les pierres croulantes et moussues. Dans sa course par bonds allongés, sa fourrure jaune et blanche brillait ou s’emplissait d’ombre, et il me sembla qu’il portait