Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/164

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La fête est déjà commencée pour moi. Aujourd’hui je n’irai pas m’étendre sous l’olivier ; je veux que la maison soit plus reluisante encore. Bien à l’aise sous mon grand tablier, je commence à frotter et à nettoyer même ce qui n’en a pas besoin. La tour n’en sera pas exempte quoique je sache qu’il n’y viendra personne. Il faut que tout soit clair et brille devant mes yeux, comme tout est clair et brille au-dedans de moi-même. La joie a ouvert dans mon cerveau, comme une grande fenêtre par où est entré un rayon mystérieux qui demeure, et m’éclaire sur mon état de grossesse. Oui, je le sais, j’en suis sûre maintenant, je porte en moi un enfant. Qu’importe qu’il n’ait pas encore fait toc toc à la cloison, je le vois aussi sûrement que s’il était déjà né, et d’en apprendre la nouvelle à Valère sera pour moi le plus bel instant de ces deux jours de fête.


J’ai préparé le fin dîner ; la table est mise à sa place habituelle, devant l’amandier dont les fleurs se sont changés en fruits d’un vert doux. Nous pourrons dîner dans la lumière du couchant, cette lumière de couleur si tendre ici qu’on croit voir le bleu de la mer flotter dans l’air en voiles légers.

La gaîté de mes jeunes voisins accompagne ma gaîté. Ils sont à table, fenêtre et porte ouvertes et j’entends ce qu’ils disent. Tout comme nous, ils se proposent de passer agréablement la Pentecôte ; le mari parle de faire un petit voyage et la jeune femme rit et bat des mains…

Le jour baisse, la lumière du couchant n’éclaire plus la table. Tant pis ! Quoiqu’il ne fasse pas nuit