Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/165

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encore, j’allume la lampe afin que la table reste brillante pour l’arrivée de Valère.

Un pas pressé s’approche. Au lieu de Valère c’est un télégraphiste qui s’arrête au seuil. Ma pensée m’échappe et s’en va vers le moulin, vers Firmin, vers mes parents. Non, le télégramme ne vient pas de si loin ; il vient de Nice. Valère est forcé de s’absenter pour une affaire sérieuse et imprévue ; il espère pouvoir revenir lundi, en tout cas, il m’écrira de l’endroit où il se rend, et le papier porte en bas : « Que mon amour t’apporte le bonheur et le repos ».

Un découragement intense m’enlève mes forces et me jette sur un siège ; la clarté de la lampe me blesse comme une injure en pleine face et je ressens un besoin immédiat d’obscurité. Il faut que tout soit noir autour de moi, noir comme l’ombre qui vient d’envelopper mon cœur. Il ne faut pas non plus que rien du dehors ne vienne adoucir cette ombre, rien, pas même la voix de ma jeune voisine, pas même la pipe du vieux cordonnier qui fume accoté à un arbre du jardin. Je ferme les volets, je souffle la lampe et, affaissée sur mon siège, je reste sans pleurs ni pensées.

Voici encore des pas devant la maison, des pas hésitants, de quelqu’un qui chercherait la porte, ou de quelqu’un qui serait ivre. Oppressée, j’espère…

Non, ce n’est pas Valère. Un poing frappe au volet et une voix appelle :

— Annette ! Annette !

Cette voix je la reconnais, et mon émotion trop forte m’empêche de bouger.