Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/57

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

nous, mais Manine qui continuait à rire nous dit :

— Et comment aurait fait oncle meunier pour être heureux si tante Rude n’était pas venue sur la terre en même temps que lui ?

Et comme si oncle meunier approuvait grandement ces paroles, on entendit sa forte voix chanter dans la cour :

    Le Diable partit en fumée
    Et je fus transporté soudain
    Chez ma meunière bien-aimée
    Dans une chambre du moulin.

La faiblesse d’Angèle augmenta ; l’idée même du mouvement lui devint pénible et elle commença de passer ses journées dans une sorte de langueur qui la faisait pleurer et dormir dans tous les coins.

Profondément inquiète et ne sachant que faire, j’appelai mes parents à mon aide. La réponse de chacun d’eux arriva en même temps. Mon père envoyait le prix d’une visite de médecin et ma mère une robe de cotonnade. Et tous deux s’en rapportaient à moi pour donner à Angèle les soins dont elle avait besoin et la garder au moulin aussi longtemps que cela serait nécessaire.

Au reçu de ces deux envois, une violente indignation me souleva. « Ainsi, c’était là tout le secours que nous pouvions attendre de ceux qui nous avaient mis au monde, et dont le premier devoir était de nous protéger. » Dans ma colère je trouvais des mots désagréables que j’aurais voulu faire entendre à mes parents. « Et si je tombe malade moi aussi, qui donc me soignera ? les jumeaux, peut-être ? Qu’avions-nous à voir dans leurs dis-