Page:Audoux - L Atelier de Marie Claire.djvu/123

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vent que la côtelette lui servait aux deux repas. Elle en détachait le milieu et repoussait le reste sur son assiette en disant :

— Je garde l’os pour ce soir.

Elle mettait un temps infini à manger les bouchées qu’elle découpait menues comme pour un tout petit enfant. Sa mâchoire n’avait plus que deux dents, longues et inutiles qui sortaient d’en bas, à chaque coin de la bouche, et qui me faisaient penser à la barrière d’un champ où il ne serait resté que deux piquets vermoulus et mal d’aplomb.

Les grandes chaleurs vinrent avec le mois d’août. Nous tenions ouvertes la porte et la fenêtre ; malgré cela il y avait des heures où la chaleur était si lourde que nous allions nous asseoir sur les marches de l’escalier dans l’espoir d’un courant d’air.

Mlle Herminie souffrait surtout la nuit. Elle étouffait dans la chambre toute en longueur. Sa fenêtre s’enfonçait si profondément entre deux pans de mur, qu’elle semblait elle-même vouloir fuir cette chambre étroite.

La vieille femme avait une véritable haine pour ces deux pans de mur qui s’abaissaient jusqu’au milieu de la pièce. Elle leur parlait comme à des être vivants et malfaisants, et lorsque je riais de ses colères, elle disait avec des yeux tout courroucés :

— C’est eux qui empêchent l’air d’entrer ici.

Elle habitait là depuis plus de trente ans, et