Page:Audoux - L Atelier de Marie Claire.djvu/236

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homme avait comme un reflet de bonne humeur, et on eût dit qu’il tenait son sourire tout près pour nous le montrer au passage. La haine de Mlle Herminie s’augmentait de ce sourire et, un soir qu’un embarras de voitures nous immobilisait auprès du nègre, elle lui dit effrontément :

— Vous ne vous êtes pas débarbouillé, ce matin.

Il sourit plus largement encore en répondant :

— Non, il faisait trop froid.

Sa voix était harmonieuse, et il n’avait aucun accent étranger. Je le fis remarquer à Mlle Herminie qui ne voulut pas en convenir et me répliqua avec aigreur :

— On dirait que vous le préférez à Clément.

Elle s’excusa de sa brusquerie, mais dans le même instant je compris que le visage du nègre m’était aussi agréable à voir que n’importe quel visage aimable.

Les grands froids supprimèrent les sorties de Mlle Herminie ; mais c’était toujours avec le même plaisir que je la retrouvais. Les soins à lui donner me faisaient oublier tout ce qui m’avait troublée dans la journée, et je ne désirais plus rien que son contentement.

Il n’en était pas de même pour la pauvre vieille. Son visage s’éclairait à peine lorsque j’arrivais, et je m’aperçus bientôt que les longues heures de solitude altéraient peu à peu ses facultés.

Un soir, elle me dit comme en confidence :

— Aujourd’hui, j’ai cinquante-treize ans.

Elle appuyait sur moi un regard tout changé qui