Page:Audoux - L Atelier de Marie Claire.djvu/237

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m’effraya. Pendant toute une semaine elle répéta :

— Aujourd’hui, j’ai cinquante-treize ans.

Puis elle oublia ma présence. Tandis que je lui parlais, elle sortait sur le palier pour guetter mes pas dans l’escalier, ou bien elle ouvrait la fenêtre pour tâcher de m’apercevoir au loin, et souvent, le regard vague et l’oreille aux écoutes, elle chantonnait une ronde enfantine :


    Reviens, reviens, c’est l’heure
      Où le loup sort du bois.

Bientôt elle refusa de manger et elle sortit dans la rue à peine vêtue.

Il fallut bien la conduire dans un asile.


Clément s’inquiétait de plus en plus des dettes de Mme Dalignac. Il étalait devant elle des papiers couverts de chiffres et disait :

— Tu ne gagnes pas plus que tes ouvrières.

— Cela me suffit, répondait Mme Dalignac.

Il me semblait que Clément la regardait avec un peu de mépris dans ces moments-là.

Un dimanche, tandis que nous étions seuls pour un moment, il s’emporta :

— Ses dettes montent… montent… Elle dirige mal son affaire et n’y veut rien changer.

Il frappa les papiers, puis il eut un haussement d’épaules, pour me dire :

— Voyez-vous, Marie-Claire, ma tante ne s’aime pas, et quand les gens ne s’aiment pas eux-mêmes ils n’arrivent à rien.