Page:Audoux - L Atelier de Marie Claire.djvu/89

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Alors il lui arriva de faire des taches et de broder à côté du dessin.

Le patron recommença de trépigner, et sa femme fut prise d’un véritable désespoir. Elle essaya de broder elle-même.

— Cela ne doit pas être bien difficile, disait-elle.

Cela était au contraire très difficile, et, malgré son grand désir, elle dut y renoncer.

Le patron la plaignait :

— Eh !… Povre femme… Tu ne peux pas tout faire…

À la voir si adroite et si courageuse, on ne pouvait imaginer qu’il pût y avoir un travail impossible pour elle, et j’étais étonnée qu’elle ne sût pas broder aussi bien que son mari, rien qu’en se plaçant à sa machine.

Dès la deuxième semaine, la brodeuse ne donna plus que quelques heures de bon travail. Et le dernier samedi, elle était dans un tel état d’ivresse qu’il nous fallut l’accompagner chez elle.

Ce ne fut pas facile de lui faire descendre l’escalier. Elle cherchait à nous échapper et se cognait rudement contre le mur ou la rampe.

Je voulais la préserver des chocs, mais Bergeounette m’en empêchait :

— Laissez-la donc se fêler… elle est comme une barrique trop pleine.

On finit par trouver un vieux brodeur qui avait été bon ouvrier dans son temps. Il mit deux paires de lunettes pour y voir plus clair, et le patron ponça plus fortement ses dessins.