Page:Audubon - Scènes de la nature, traduction Bazin, 1868, tome 1.djvu/337

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dans cette infernale barque de yankee[1]. C’étaient tout de même d’audacieux coquins ; car, voyant que pour leur bateau l’eau devenait trop basse, ils se sont lancés dedans à mes trousses. Tous mes camarades avaient été tués, et pour alléger mon propre bateau, je les jetais par-dessus le bord. Mais pendant que je perdais mon temps à cette maudite besogne, les deux brigands m’ont mis le grapin dessus ; et m’ont frappé sur la tête et sur le corps de telle façon, qu’après que je les ai eu moi-même désemparés et tués dans le bateau, je me suis trouvé presque incapable de me mouvoir. Les autres scélérats de la bande avaient emmené notre schooner avec un de nos bateaux, et peut-être à cette heure ont-ils pendu tous ceux de mes compagnons qu’ils n’avaient pas d’abord massacrés… Bien des années, je l’ai commandé mon beau navire ; j’ai pris bien des vaisseaux, et envoyé pas mal de coquins au diable… Toute ma vie je les ai haïs ces yankees, et mon seul regret est de n’en avoir pas tué davantage !… Je revenais de Mantanzas[2]… en ai-je eu de ces aventures… et de l’or donc ! sans compter ; mais il est enfoui où personne ne le trouvera, et ça ne servirait à rien de te le dire. — Sa gorge se remplit de sang, sa parole faiblit, la main froide de la mort s’étendit

  1. Yankee, sorte de nom de mépris qu’on donne aux colons anglais de l’Amérique du Nord. C’est une imitation de la manière dont les noirs de la Virginie et quelques peuplades indiennes articulent le mot english, qu’ils prononcent ianki.
  2. Mantanzas, ou Matanzas, est un port au nord-ouest de l’île de Cuba.