Page:Audubon - Scènes de la nature, traduction Bazin, 1868, tome 2.djvu/264

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rûmes pêle-mêle au rivage. En effet, la glace se rompait avec un fracas semblable aux détonations d’une pesante artillerie ; et comme les eaux s’étaient soudainement gonflées, par suite du débordement de l’Ohio, les deux fleuves se heurtaient l’un l’autre avec fureur. Des masses congelées se détachant par larges fragments se levaient un moment, presque droites, pour retomber avec un bruit épouvantable, comme fait la baleine blessée, lorsque, dans l’agonie de la douleur, elle se dresse un instant, puissante et terrible, et bientôt après plonge au milieu des ondes écumantes. Nous étions extrêmement étonnés de voir que le temps qui, la veille au soir, était calme et à la gelée, venait de tourner au vent et à la pluie. L’eau ruisselait par toutes les fissures de la glace ; c’était un spectacle à faire perdre courage. Quand le jour vint l’éclairer, il nous parut encore plus redoutable et plus étrange. Toute la masse des eaux était dans une agitation violente ; la glace qui la recouvrait naguère flottait à la surface par petits fragments ; et bien qu’entre chacun d’eux il y eût à peine l’espace d’un pied, l’homme le plus téméraire n’eût osé s’aventurer à faire un pas dessus. Notre bateau était dans un danger imminent. Les arbres qu’on avait placés autour pour l’abriter, avaient été coupés ou broyés, et leurs débris battaient le frêle esquif ; impossible de le remuer. Alors notre pilote nous employa tous à ramasser de grosses brassées de roseaux qu’on laissait tomber le long de ses flancs. Et fort heureusement, avant qu’ils fussent anéantis par le choc, l’embarcation se retrouva à flot et put se mettre en mouvement, soutenue sur