Page:Audubon - Scènes de la nature, traduction Bazin, 1868, tome 2.djvu/414

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et des sauvages forêts de la Louisiane, à étudier en silence et le cœur palpitant d’émotion les mœurs si curieuses de l’Anhinga ! J’aimais à épier la femelle couvant ses œufs avec tendresse, dans un nid placé par elle, hors de toute atteinte, sur la branche prodigieusement étendue de quelque gigantesque cyprès qui, planté là comme par magie, s’élevait du centre même d’un vaste lac. Je la vois encore : d’un œil attentif, elle suit chaque mouvement du farouche busard ou de la corneille rusée ; elle veille, de peur que l’un ou l’autre de ces maraudeurs ne lui ravisse le fruit de ses amours, et pendant ce temps plane au haut des airs, le compagnon de ses joies et de ses fatigues. Les ailes toutes grandes ouvertes, la queue étalée en éventail, il jette d’abord un regard inquiet vers celle qu’il aime, puis un autre, plein de colère et de défi, sur chacun de leurs nombreux ennemis. En cercles plus hardis il s’élance, monte de plus en plus haut ; bientôt il ne semble qu’un point obscur, et enfin disparaît complétement dans l’immense étendue du ciel bleu. Mais tout à coup, fermant ses ailes, il tombe comme un météore, et je l’aperçois posé maintenant sur le bord du nid où il contemple tendrement l’objet de tous ses soins.

Trois semaines s’écoulent ; autour du cyprès sont épars les débris des coquilles que l’intelligente mère a rejetés hors de sa demeure et qui flottent sur le vert limon du marais. Je monte au nid, et je vois les petits revêtus d’une ouate plus fine que nos cotons les plus moelleux ; ils allongent leur cou mince et tremblant ; le bec ouvert et leurs poches tendues, ils demandent,