Page:Audubon - Scènes de la nature, traduction Bazin, 1868, tome 2.djvu/44

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

des heures dont le charme me semblait toujours nouveau. Je me figure encore être assis près du tronc blanchissant de quelque gigantesque sycomore dont les branches s’étendent et montent vers le ciel, comme impatientes de dominer l’épaisse forêt ; un bayou sombre et tortueux se déroule lentement, sous les érables qui bordent ses rives marécageuses, au milieu des hautes herbes et des roseaux. Tout autour de moi règne un mystérieux silence que trouble à peine le bourdonnement de mille insectes. Le moustique avide de sang essaye de se poser sur ma main, et je le laisse faire tout à son aise pour mieux l’observer, tandis que si dextrement sa trompe délicate me perce la peau. Il pompe à satiété le rouge liquide ; en quelques instants son corps en est gonflé, et, déployant avec peine ses petites ailes, il s’envole pour ne plus jamais revenir. Par-dessus les feuilles flétries, je vois grimper, en se hâtant, plus d’un joli scarabée qui se fait petit pour échapper à l’œil vigilant de ce gros lézard ; là-haut, le corps collé contre un arbre, se tient un écureuil, la tête tournée par en bas ; il vient de m’apercevoir et surveille mes mouvements ; les oiseaux chanteurs avancent aussi la tête pour regarder à travers les broussailles ; sur l’eau, les grenouilles mugissantes[1] cherchent un rayon de soleil ; une loutre se montre à la surface, tenant un poisson dans sa gueule, et mon chien aussi vite plonge après, mais revient bientôt à mon appel… C’est à ce moment, quand mon cœur déborde d’émotions déli-

  1. Voyez, au premier volume, Mort d’un Pirate.