Page:Auguste Rodin - Les cathedrales de France, 1914.djvu/174

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le reconnais plus. L’atmosphère est toujours grise, mais d’un gris plus lumineux, plus chaud, d’un gris ardent. Le paysage se réveille, toujours ivre, mais d’une ivresse nouvelle, purement sensuelle. Des oiseaux traversent l’air, comme des flèches, et l’impérieux et méfiant moineau qui fréquente ma fenêtre pépie insolemment.

Cependant, l’homme aussi s’est réveillé, pour se remettre au travail. Le grincement des râteaux arrive jusqu’à moi.


Les nuages se troublent, le ciel brille d’un éclat plus vif, trop vif. C’est l’orage. Il faut cette détresse là-haut pour que l’eau bienfaisante tombe sur les champs. Il faut aussi la douleur pour que l’esprit répande la pensée.

Et l’atmosphère s’est détendue. Des buées pures luisent ; les maisons miroitent, comme vernissées. La fumée des toits flotte, incertaine, dans l’air, sans direction préférée. Puis, le plan de la colline qui me fait face s’obscurcit. Tout l’intérêt est au delà, dans ces espaces enchantés où les esprits altérés de merveilleux envoient l’imagination en avant-courrière…

Ces changements perpétuels du paysage français offrent à l’artiste d’inépuisables ressources. Il faut les avoir étudiés pour bien comprendre l’art du plein air : au moyen âge, l’architecture et la sculpture ; au XIXe siècle et au XXe, la sculpture et la peinture.


Ainsi, le soleil a fait sa grande fonction. Il a réchauffé les plantes, il a prodigué sa grâce. Mais l’embrun était nécessaire : dans le gris délicieux qu’il procure les jeunes pousses s’affermissent, se préparent aux efforts. Et le soleil a commandé l’embrun.

C’est l’apprentissage indispensable. Le printemps est la saison de la jeunesse, de la timidité, de l’initiation. Il est impossible de parvenir d’emblée à la force décidée, créatrice, et ce n’est pas désirable.


Ce paysage, fin de journée maintenant, s’étale, voluptueux, sous un ciel d’une incomparable richesse : un ciel de Constantinople, bleu pur, avec des nuages éparpillés en étendards roses.