Page:Auguste Rodin - Les cathedrales de France, 1914.djvu/71

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qui se détache peu à peu du mur ou de la colonne, est plus humaine que celle des sculpteurs du XIIe, plus humaine que celle des peintres, et suggère, au delà de l’objet précis de la représentation, en dépit des intentions les plus orthodoxes, l’irrésistible besoin de l’affranchissement. Dans cent ans, elle ne sera plus qu’une « œuvre d’art », désorientée de l’autel vers le parvis, de l’Église vers le siècle.

La période gothique, dans son premier âge tout au moins, est pourtant une période de foi ardente ; c’est le siècle de saint Louis. Mais la foi y prend un caractère qu’elle n’avait guère connu jusqu’alors et qui est en parfaite harmonie avec l’envolée des lignes gothiques. L’église romane et le XIIe siècle méditent et pleurent ; l’église gothique et le XIIIe siècle prient et espèrent. L’humanité chrétienne se détourne du Tombeau pour regarder le ciel même où trône le Ressuscité ; le diadème triomphal se substitue à la couronne d’épines ; c’est l’Ascension après la Crucifixion. Jusqu’alors on avait pensé surtout au châtiment ; maintenant on pense surtout à la récompense, l’image du paradis a chassé des esprits l’image de l’enfer. L’Adam nouveau a fini de psalmodier ses lamentations, l’Ève rachetée entonne le Magnificat.

Les églises gothiques appartiennent presque toutes à celle qui « changea le nom d’Ève », à la Vierge Marie. Même dans les églises qui ne lui sont pas dédiées elle a toujours sa place glorieuse. En est-il une seule où l’on ne retrouve, illustré de quelque chef-d’œuvre, ce motif du Couronnement auquel la période romane préférait la Vierge en majesté, moins tendre, plus sévère ? À cette heure du moyen âge on est, moins que cent ans auparavant, préoccupé de l’inaccessible grandeur de Dieu ; c’est le geste bienveillant de la Grâce qui réunit tous les regards. Marie n’est-elle pas l’incarnation de la Grâce ? Il est donc logique qu’on fasse une place privilégiée à celle qui fut élevée en puissance et en dignité au-dessus de toutes les créatures, inférieure seulement à Dieu, entre lui et les hommes l’intermédiaire et le recours. Celle qui fut le Temple avant tous les temples avait le droit d’unir encore dans le sanctuaire sa beauté à la majesté du Rédempteur.

Mais la mère de Dieu n’en est pas moins une femme. C’est un caractère féminin que son universelle glorification confère à toutes les églises gothiques.

Sveltes avec de douces plénitudes qui vont s’effilant vers le sommet des clochers, comme souriantes toutes, et plusieurs toutes blanches, elles sont elles-mêmes des femmes, intercédant, les bras levés au ciel, pour le monde qui prie à